Peut-on " entraîner " Lécoute
Dr Bernard Auriol et Pr Pierre Josserand
CNA2 (Club de Neuro-Audio-Acoustique),
Il paraissait très curieux, à nos auditeurs dil y a quelques années dentendre parler dun lien entre laudition et la compétence psychomotrice. Même si la statistique semblait lui donner un semblant dassise comment aurait-on pu se lexpliquer ?
La plupart considéraient loreille comme un capteur largement passif qui pouvaient tout au plus tenter quelque parade à lendroit de bruits continus particulièrement puissants et dangereux. Si lindividu se rendait attentif, ce ne pouvait être quen orientant la tête dune certaine façon ou en dirigeant ses pas vers la source. Le reste était un travail dintégration corticale, gymnastique de neurones ou activités cognitives supérieures, dont on navait cure.
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Bien différent de lil ! Dont on suit les mouvements dintérêt au diamètre de la pupille. Le désir se voit mieux dans lil que la crainte dans loreille !........Sauf pour Jannot lapin qui nen peut rien cacher.
Ces fameuses oto-émissions, déjà imaginées par Cyrano de BERGERAC, auxquelles nous initient les physiologistes, la remise en question des options békésiennes et la prise en compte devenue inévitable des multiples interactions propres aux réseaux neuroniques, nous rendent plus proche létude dune gestion centrale de lappareil auditif.
Cet appareil sintègre dans un système découte comportant bien sûr, comme tout système vivant, des rétroactions multiples. Nous avons ainsi deux voies : lune - bien classique - mène linformation de la périphérie aux Centres ; lautre que nous devons apprendre à explorer prend le sens inverse et informe le récepteur sur létat et les attentes centrales, celles du sujet, cest à dire de lorganisme en tant quil est un ensemble unifié auto-référent.
La voie cognitive se détermine à chaque instant, non seulement par les paramètres qui sont sa raison dêtre - et pour nous : les sons externes -, mais aussi par la monition de lautre voie que je vous propose dappeler conative.
" Conative " plutôt que simplement " active ", car cette action est dirigée vers un objectif et doit se distinguer de laction spontanée des organes ; " conative " plutôt quintentionnelle, car il sagit de visée le plus souvent inconsciente à la différence de lattention et de lintention qui comportent la conscience dun but. Le sujet gère son système découte, il loriente, le focalise et le module certes ;mais il le fait en laissant la conscience dans la plus grande ignorance de ces choix et de ces refus.
Jusquau point des surdités psychogènes dont on ne peut refuser lexistence.....
Les avancées de la physiologie cochléaire et de la neuro-psychologie cognitive associées aux données de la psycho-pathologie, suggèrent ainsi que lécoute ne saurait être réduite à laudition et quelle comporte des mécanismes dintégration actifs, riches et complexes. On peut en inférer que son efficacité est sous la dépendance de facteurs inhibiteurs ou sensibilisateurs qui peuvent entraîner - et de fait entraînent - une certaine variabilité des seuils, des tendances fonctionnelles au recrutement, une plus ou moins grande certitude quant à la localisation des sources, des erreurs pour lanalyse tonale, une spécialisation latérale floue ou inversée, etc....Tous éléments propres à engendrer dimportantes distorsions de lécoute, la tendance à faire répéter, limpression de mal entendre, la distractibilité chronique, etc.......
Ces troubles de la communication peuvent se manifester dés lenfance et sassocier à la dyslexie, le bégaiement, les difficultés mnésiques pour engendrer léchec scolaire. Ils peuvent également affecter ladulte et surtout le sujet qui prend de lâge. Un cas fréquent est représenté par le patient qui a toujours présenté une écoute limite sans être invalidante mais qui - en y ajoutant la discrète presbyacousie quimplique le déroulement du temps - devient tout à coup insupportable.
Ces considérations nous ont amenés depuis une quinzaine dannées à proposer à de tels patients certains exercices mobilisant laudition. Cette initiative est-elle utile et recommandable ?
La comparaison des étudiants en musique et des autres, ou la comparaison de lécoute de loreille gauche par rapport à loreille droite, ou la comparaison entre lécoute dun certain nombre de sujets avant et après audio-training suggèrent quil soit possible - et souhaitable - déduquer et de rééduquer lécoute, quil sagisse de jeunes, étudiants ou danciens.
La plupart des paramètres sont susceptibles de saméliorer, les difficultés " dyslexiques " et apparentées cèdent, la décrépitude du sujet vieillissant elle-même ralentit son érosion ; les effets, non seulement sont lisibles au plan fonctionnel et psychologique (ce quon pourrait attribuer à un simple effet placebo), mais sinscrivent aussi dans la répétition des mesures objectives que nous avons eu loccasion de faire.
Certains exemples nous permettront dentrer dans le vif du sujet :
Tel patient, appareillé correctement et se déclarant confortable dans tous les essais effectués, renonce à lemploi de son appareil dans la plupart des occasions ; il est ainsi plus tranquille, se permet de faire répéter sans cesse, de nentendre que ce quil souhaite...Sa fille est atteinte dun grave eczéma, sans allergène décelable, qui guérira au cours de sa psychanalyse.
Tel autre retraité de lArmée ou il occupait un poste assez honorable, vit avec une femme qui présente des poussées de sclérose en plaque lorsque le climat familial se tend et une fille schizophrène chronique à la fois révoltée et dévote par rapport à ce père excessivement autoritaire et protecteur. Il présente aussi une surdité très importante quil qualifie lui-même, fort bizarrement, de sélective : en ce sens quil entend pratiquement ce quil veut et surtout quil omet dentendre ce quil ne veut pas.....
En fait, de tels cas et bien dautres moins caricaturaux, nous obligent à distinguer laudition de lécoute. Il nest pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre affirme le dicton .......
Linformation sonore nous permet de connaître la partie non visible de notre environnement. Elle nous dit le volume du lieu, la rigidité des parois, etc......Surtout nous pouvons par elle déceler lagression sournoise, lintrus qui pénètre lespace par larrière, lennemi qui attaque en traite, le reptile qui glisse, les pas de loups dangereux.....Lil nous dit le monde et quil est inconnu et plein de mystère, danger éventuel, prédateur ou violeur. Il nest des lors pas surprenant que le paranoïaque ou simplement lêtre méfiant aiguise son écoute. Un pas de plus et il la surinvestit projectivement : il se met à entendre des voix, insultantes bien souvent et parlant de pénétration par larrière.
La culpabilité, si elle à sa version visuelle qui met lil jusque dans la tombe de Caïn, est bien souvent placée dans le champ sonore : la voix de la conscience, les trompettes du jugement dernier, le Shofar qui évoque un Dieu vengeur, etc... Et sur le versant populaire : sonner les cloches, sen entendre dire, etc....
Loreille comme lil, vous le savez, est loin dêtre un simple récepteur passif. Cest un organe périphérique certes, mais, comme on dit en informatique, cest un périphérique intelligent . Il modifie sa visée et ses performances en fonction de son état bien sûr ( otite, etc...) mais surtout en fonction des données extrinsèques (Augmentation ou Diminution du niveau sonore ambiant, modification des caractéristiques spectrales du bruit de fond, existence ou non de réverbération et décho, etc...) et aussi de données centrales quelles soient de type neurologique ou psychosociologique ( nature des circuits sus-jacents, entraînement à tel type de forme sonore, capacité de suivre une forme précise dans un flux magmatique, etc....).
Nous connaissons plusieurs dispositifs qui vont dans ce sens :
1 : Lorientation de la tête et du pavillon, bien sûr.
2 : La manipulation des osselets ( étrier et marteau ) par leurs muscles respectifs.
3 : Le système ciliaire externe avec ses fibres efférentes.
4 : Lintervention des structures sus cochléaires sous corticales ou corticales qui établissent les liens nécessaires à notre survie ou commandés par notre désir : liens avec dautres informations perceptives ou mémorielles et avec le mouvement profond de la subjectivité nourri de ses craintes et de ses projets. Il est en effet nécessaire de retravailler la sensation " brute " ( pour autant que cela ait un sens ) afin daboutir à une véritable perception. Nous devons inférer que des informations spécialisées, supra cochléaires, reprennent linformation, lanalysent, la localisent, la reconstruisent, la digèrent, la comparent et lui donnent, autant que possible un sens. Cette activité consiste avant tout à mettre en relation linformation en cours dacquisition avec toutes sortes de données plus ou moins homogènes par structure ou par apprentissage ( génétique, imprinting, mémorisation ). Il y aura de ce fait plusieurs représentations sous corticales et corticales.
Au cours de ce travail, et dautant que la compétence découte sera grande, le système gommera les redondances, soulignera les contrastes, forcera les analogies.
Ce test peut comporter :
Je ne métendrai pas sur chacune de ces épreuves et les renseignements que nous pouvons en espérer mais attachons-nous, pour aujourdhui à quelques points de détails :
En test par amplitude croissante discontinue, on observe facilement des distorsions de LECOUTE avec conservation des seuils AUDITIFS ( distorsions affectant lhomogénéité dune courbe ).
Ces distorsions se traduisent dans des cas assez rares par un affaiblissement de lécoute des médiums mais plus souvent par une augmentation des seuils liminaires aigus ( notamment chez les hommes ) ou graves ( chez les femmes le plus souvent ). Ceci a été mis en évidence sur une vaste population par Corso dès 1963.
Si on sélectionne une population dindividus présentant des troubles les ayant amené à consulter un spécialiste en psychothérapie, on peut montrer que la détérioration des graves ( ou respectivement des aigus ) se corrèle avec certaines caractéristiques psychométriques bien précises.
Par ailleurs, létude de quelques dossiers dexamen de santé, recueillis par la Sécurité Sociale, nous a permis de constater que les femmes sont plus souvent dépressives ( avec une écoute détériorée sur toutes les fréquences ) et souvent anxieuses ( ce que traduisent de grandes distorsions ). Les hommes présentent plutôt des troubles digestifs, du tabagisme, de lalcoolisme et leurs conséquences ; dans tous ces cas leurs seuils sélèvent également.
Les Médiums traduisent bien souvent limplication plus ou moins satisfaisante dans le social et les possibilités dacquisition linguistique, spécialement quand il sagit de la langue française. Une étude menée au CREPT a montre que de discrètes défaillances de lécoute entre 750 et 3000 Hz conduisaient les sujets à obtenir de moins bons résultats, en moyenne, que ceux de leurs collègues qui ne présentaient pas un tel phénomène.
Le phénomène de " reconstruction subjective " existe, non seulement pour lassociation de quelques fréquences isolées quon a mises ensemble, mais aussi et surtout par rapport à des morceaux de musiques tout à fait banaux quon a privés de leurs graves ( P. Buser et M. Imbert, 1987, p.79-80). Les petits transistors et le téléphone amputent la source des fondamentaux les plus graves et des partiels les plus aigus : Lauditeur en est généralement fort peu incommodé. Ladministration de musiques filtrées en passe-haut ( > 8000Hz avec 80 db/octave ) passée la première surprise, laisse luvre parfaitement reconnaissable. Cest à dire que notre système nerveux reconstruit les fondamentaux. On obtiendra même, après une exposition suffisante, des SUR -GRAVES lorsquon redonnera luvre dans sa forme originelle.......
Ainsi les graves peuvent-ils paraître redondants contrairement aux aigus dont labsence " éteint " carrément une musique. Les harmoniques sont à loreille ce que les couleurs sont à lil : finesse et subtilité, précision, discrimination, lumière......
Lutilité biologique de ce phénomène que lévolution a permis de sélectionner est de permettre la reconnaissance de formes sonores en présence de bruits masquants ( et les graves sont très masquant ). La musculature de loreille moyenne, les efférences de la cochlée et la reconstruction encéphalique des fondamentaux permettent de détecter certaines informations qui sont totalement noyées par le bruit dans la visualisation oscilloscopique.
J.P. Wilson ( 1983 ) suggère que les phénomènes actifs, non seulement augmenteraient lamplitude et la sélectivité des réponses cochléaires, mais aussi quils contribueraient à la dynamique densemble par une compression des graves et une expansion des suraigus.
On peut en déduire que la transposition dune forme sonore vers les graves pourraient pallier en grande partie à certaines surdités localisées aux aigus : cette transformation devrait affecter tout autant les partiels et harmoniques apparemment non pertinents.
Lexposition thérapeutique à des musiques filtrées en passe haut a des effets bien démontrés chez le dyslexique ( Isi Beller ), le bègue ( expériences en Afrique du Sud ), linattentif, le fatigable, et peut-être lenfant hyperkinétique ( étude en cours à Villeneuve St Georges ; LEGERON et PETIT ) et dans lintroversion pathologique. On observe une augmentation de la maîtrise de soi et la possibilité de rester attentif sur une plus longue période. Les capacités de concentration accrues augmentent les possibilités de mémorisation, favorisent la communication et le dialogue.
On observe même parfois une dynamisation excessive qui génère plus dangoisse ou détermine un virage excité de lhumeur, chez le cyclothymique et surtout le maniaco-dépressif pour lequel ce type de thérapie doit être tout spécialement aménagé, selon des normes encore insuffisamment établies. Cest après avoir fait cette constatation que je demeure hostile à lusage " sauvage " de ce type dintervention ( cf P. Joudry, 1984 ).
Pour préparer cet exposé, jai utilisé un fichier en cours de saisie, comportant à ce jour ( 21-22 Avril 1989) plus de 330 tests. Chaque individu ayant passé les tests à plusieurs reprises, le nombre de sujets est de 70 ( 4 testings par sujet, en moyenne ). Le nombre dhommes et de femmes est à peu prés équivalent. Pour diverses raisons nous avons dû éliminer certains dossiers ( tests incomplets notamment, ou répétition des tests en nombre insuffisant ). Nous pouvons alors tabler sur 39 individus ayant passé au moins 4 tests successifs au cours de leur audio-training. Les individus présentant moins de tests sont éliminés, les tests au delà du quatrième sont également rejetés pour ceux des individus qui en ont passé un grand nombre.
Lâge des sujets va de 7 à76 ans. La moyenne étant à 29,9 ans, la médiane à 30 ans et la dispersion assez forte ( 58,8 ) avec un ecart-type de 17,6 ans. Deux pics modaux apparaissent :7-14 ans et 32-35 ans.
Nous établissons pour chacun des sujets la Moyenne de ses seuils Aériens Droits ( MUAD ), Gauches ( MUAG ), et Osseux Droits ( MUOG ) et Gauches ( MUOG ). Lanalyse en composante principale montre sur le premier axe une opposition entre le facteur taille affectant tous les seuils et le nombre de séances dentraînement. Lutilisation de laxe 3 permet dopposer les seuils aériens, droit et gauche. Le nombre de séances sécarte de MUAD et se rapproche de MUAG. Ceci indique un effet damélioration des seuils en général ( axe 1 ) et du seuil aérien droit par rapport au gauche dautre part. On ne peut omettre de dire ici que lentraînement proposé utilise des sons en passe haut ( > 1K ) damplitude assez forte, en alternance avec des sons en passe bas damplitude très faible. Par ailleurs cette fourniture est adressée avec une balance privilégiant loreille droite.
Lanalyse des correspondances concernant les seuils ( et les distorsions ), montre que plus lindividu à fait de séances et plus il se situe vers les lieux négatifs de laxe 1, lesquels regroupent les modalités optimum des seuils et de leurs distorsions. Labsence dentraînement se situe du coté positif de laxe 1, région ou lon rencontre également les seuils très élevés.
Lensemble suggère donc une amélioration de lécoute par lentraînement.
Nous utilisons un indice de distorsion qui cherche à refléter limpression visuelle donnée par le degré dhomogénéité dune courbe audiométrique. Cet indice nest autre que lécart type construit à partir des différents seuils. Il est fort peu légitime dun point de vue métrique, mais suffisant pour indiquer sil existe ou non de grands écarts entre les différences fréquences dont on a évalué le seuil découte.
Sous réserve dun affinement ultérieur, nous observons grâce à lAnalyse Factorielle des Correspondances Multiples que le premier Axe a une Valeur propre de 0.38 et correspond à une inertie de 15 environ. Il est caractérisé au mieux par la Distorsion de la courbe des Seuils Aériens à loreille droite. Sur cet Axe 1 sétalent aussi les distorsions affectant les Seuils Aériens Gauches puis les Seuils Osseux Droits, enfin les Seuils Osseux Gauches ( ETAD> ETAG > ETOD > ETOG ). Le nombre des séances, reparti en 4 ou 8 classes se projette sur le même axe de sorte que labsence de séances tire vers les fortes distorsions et le grand nombre de séances vers les faibles distorsions. Il semble possible dexclure une simple familiarisation avec le test car il est effectué à des dates souvent éloignées ( deux mois et demi ) et la dérive vers les faibles distorsions est dautant plus nette que les séances sont en plus grand nombre ( > 80 ).
Comme nous lavons dit plus haut, nous imposons au sujet un spectre privilégiant les aigus et oriente vers loreille droite, sans effet stéréo. Nous attendions dobserver une augmentation statistique de la pente de la courbe Aérienne Droite. En fait nous observons plutôt une réduction de la pente, quel que soit son signe au départ : les courbes ascendantes ou descendantes ont tendance à shorizontaliser.
Nous avons voulu donner, en étude préliminaire ces quelques indications auxquelles nous adjoindrons létude dun cas particulièrement intéressant en raison de la persévérance du sujet qui a suivi des séances hebdomadaires de training pendant 7 ans ( entre 50 et 57 ans ).
Nous avons réalisé, sur les 40 audiogrammes quil a passé durant cette période, une analyse des correspondances concernant 11 seuils aériens droits, 11 gauches, 8 seuils osseux droits et 8 seuils osseux gauches, le nombre des séances, les moyennes et les distorsions sont utilisées comme variables supplémentaires.
Ce rapide tour dhorizon nous permettra sans doute de poser plus de question que de fournir des solutions. Je pense quil conduit à admettre limportance du subjectif dans lapproche de lécoute et de laudition. Le subjectif comporte une dynamique qui semble susceptible dentraînement.